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Transformation de bureaux vides en logements : quelle faisabilité concrète pour ces opérations ?

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Dans une tribune adressée à notre partenaire News Tank Cities, l’urbaniste et ancien délégué à la stratégie territoriale au sein de l’UNAM (Union nationale des aménageurs) analyse la faisabilité, sur le territoire, de la transformation des bureaux vides en logements.

Comment transformer les bureaux en logements ? - © D.R.
Comment transformer les bureaux en logements ? - © D.R.

Lutter contre l’étalement urbain tout en augmentant le parc de logement : voilà l’équation impossible à laquelle semblent confrontés les territoires dont le marché immobilier est le plus en tension. Pour y répondre, tous les moyens sont bons à prendre. C’est dans ce contexte qu’une nouvelle tendance tente de se frayer un chemin : la transformation des bureaux vides en logement.

Alors que le développement du télétravail pendant la crise sanitaire a d’abord semblé donné une vraie crédibilité au potentiel de ce mouvement immobilier, la réalité des chiffres mais aussi les contraintes techniquesfinancières et géographiques de ces projets amènent à s’interroger sur la faisabilité concrète de ces opérations. Pourtant, les pouvoirs publics poursuivent leurs efforts pour tenter de faciliter l’émergence d’une nouvelle pratique encore marginale. 

Avant de s’extasier sur un éventuel potentiel immobilier que pourrait générer le développement du télétravail durant la crise sanitaire couplé à un départ massif des métropolitains dans d’autres territoires, il est nécessaire d’interroger la réalité de ce mouvement immobilier.

Intégrer les grandes tendances géographiques

Deux après la crise et alors que la vie quotidienne des Français tend à retrouver une certaine normalité, un premier constat se dessine : les grandes tendances géographiques françaises n’ont pas été modifiées par la pandémie de Covid-19. L’exode urbain fantasmé par certains n’aura finalement pas eu lieu. C’est le constat fait par l’étude Popsu Territoires avec le Réseau rural français et le PUCA en février 2022, intitulée « Exode urbain : impacts de la pandémie de Covid-19 sur les mobilités résidentielles ».

Le message est assez clair : « La pandémie de Covid-19 n’a pas bouleversé de fond en comble les structures territoriales françaises, qui restent marquées par la centralité des grands pôles urbains ». À l’appui des chiffres des flux de recherche immobilière, les Français resteraient en majorité attirés par les grands pôles urbains, par le littoral, et par les zones périurbaines.

Côté vie en entreprise, les pratiques ont évolué et pourraient permettre malgré tout de permettre l’éclosion d’un marché de la transformation des bureaux en logements. Selon une étude présentée en 2021 par le cabinet de conseil en immobilier d’entreprise JLL France : « 47 % des entreprises souhaitent profiter de la nouvelle donne post-Covid pour rationaliser leur parc ». De l’ordre de 12 000 € annuels par salarié, il faut rappeler que l’espace de travail constitue le 2è poste de coûts après les salaires. Les ordres de grandeur estimés au travers de l’étude permettraient d’envisager à terme la libération d’environ 30 % des surfaces de bureau.

Cela pourrait se traduire par des réaménagements : soit à petit échelle comme la libération de plateaux, soit à plus grande échelle avec la libération d’immeubles entiers. D’autres pratiques pourraient se structurer autour des notions de flex office ou de corpoworking qui s’apparente au coworking avec la mise en place d’espaces de travail partagés mais au sein des locaux de l’entreprise. Selon l’étude, « les sièges sociaux ont vocation à devenir des lieux de vie et non plus des lieux de travail ».

Difficile de mesurer encore le potentiel réel que représenteront les nouveaux modes de travail et la réorganisation spatiale a de la vie en entreprise. Si les intentions sont là, la réalité pourrait être autre puisque l’analyse annuelle de la plateforme Bureaux Locaux estimait en janvier 2022 que « les recherches de bureaux franciliens ont dépassé le niveau d’avant-crise en 2021, à Paris comme en périphérie » après avoir reculé de 10 % en 2021.

Les contraintes inhérentes à ce type d’opérations 

En février 2021, Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, présentait un bilan des surfaces de logements issus de la transformation de bureaux depuis 2018. Constat sans appel : une dynamique notable mais un mouvement en réalité assez marginal. 417 000 m2 de logements issus de la transformation de bureaux ont fait l’objet d’une demande de permis de construire, dont 110 000 m2 dans l’agglomération parisienne (26 %) et 190 000 m2 dans les autres grandes agglomérations (46 %).

Dans le même temps, la « Foncière de transformation immobilière », créée en 2020 par Action Logement dans le cadre du Plan d’investissement volontaire (PIV), dédiée à l’acquisition et au portage de foncier d’activité vacant, expliquait être « en négociation pour la création de 101 000 m2 de logements, dont 42 000 m2 ont été contractualisés ». Loi ELAN en 2018 loi Climat en 2021, appels à projets « Réinventer Paris » depuis 2017 visant à doubler les opérations de ce type : les pouvoirs publics semblent décidés à trouver des solutions pratiques pour accélérer le mouvement.

Mais les nombreuses contraintes inhérentes à ce type de projets représentent un frein qu’il est nécessaire de prendre en compte (pour ne pas fantasmer les belles intentions) et de proposer de nouveaux dispositifs tout en assouplissant un certain nombre de contraintes techniques.

Problème d’isolation médiocre

Contrairement aux politiques chargés de trouver des leviers pour desserrer l’étau en matière d’immobilier ou aux entreprises soucieuses de réduire leur parc pour réaliser des économies d’échelle, les professionnels du bâtiment sont nombreux à émettre des doutes sur les bienfaits de la transformation de bureaux en logement. L’immobilier tertiaire français ne présente bien souvent pas les garanties nécessaires pour parvenir à proposer des logements conformes aux critères qualitatifs requis.

De très nombreux locaux à usage professionnels, équipés de cloisons et de murs fins, souffrent d’une isolation médiocre qui ne correspond pas aux critères attendus par les particuliers en quête d’un nouveau logement. Ce parc immobilier tertiaire nécessite d’autres mises aux normes souvent complexes sur le plan technique et coûteuses aussi bien sur le plan de l’accessibilité, que de l’isolation thermique, des installations électriques et sanitaires ou de l’aménagement intérieur.

Les professionnels le disent : construire des logements et des bureaux, ce n’est pas le même métier. La mise en place de passerelles entre les expertises de chacun sera nécessaire pour pallier à cette contrainte opérationnelle.

Très souvent les grandes surfaces de bureaux, qui pourraient représenter les plus grandes marges de manœuvre pour les opérateurs, se trouvent en périphérie des villes dans des quartiers non résidentielles. L’étude de Bureaux Locaux de janvier 2022 expliquent à ce propos que « les villes adossées aux grandes métropoles (Saint-Herblain avec Nantes, Mérignac avec Bordeaux et Villeurbanne avec Lyon) affichent les plus belles croissances ».

Impacts sur les prix de sortie

La question financière de ce type d’opération de changement de destination complexe est également centrale. Les coûts engendrés par les travaux de remise aux normes risquent d’avoir un impact très important sur le prix de sortie des nouveaux logements. Les opérations seront alors dépendantes du marché immobilier, comme toutes les opérations d’aménagement complexes engendrés par la philosophie actuelle qui consiste à faire la promotion de la ville sur la ville.

À l’image de la reconversion des friches industrielles, le surcoût engendré par ce type d’opération complexes pourraient ne trouver une rentabilité qu’en région parisienne ou dans les grandes métropoles là où le marché immobilier est le plus élevé pour compenser la mise de départ. Au contraire, transformer des bureaux en logements sera bien moins intéressante à réaliser pour les opérateurs sur des territoires moins en tension.

Loin de l’eldorado annoncé, la transformation des bureaux en logement pourrait trouver une forme de salut dans la mise en place de dispositifs fiscaux attractifs pour les ménages afin de compenser l’incompressible question de la rentabilité des opérations. L’obligation imposée par la loi climat de réaliser une étude de réversibilité des bâtiments dans les futurs projets pourraient faciliter à l’avenir les passerelles entre logement et bureaux.