Évaluation

Covid-19 : Immobilier et crise sanitaire : quel état des lieux et quelles perspectives ?

Par Christian Capitaine | Le | Services pour évaluer

ImmoMatin et News Tank Cities ont organisé, vendredi 24 avril 2020, un webinaire auquel ont pris part Laurent Vimont, président du réseau Century 21, Marc Villand, président de la Fédération des promoteurs Immobiliers (FPI) Ile-de-France et PDG d’Interconstruction, François Maillard, président de Spie Batignolles Immobilier et Pierre Sorel, président d’Hibana. Morceaux choisis.

Webinaire News Tank Cities / ImmoMatin - © D.R.
Webinaire News Tank Cities / ImmoMatin - © D.R.

Interrogation N°1

Immobilier dans l’ancien, promotion et construction : Quel état des lieux des marchés ?

Laurent Vimont, président du réseau Century 21 :

« Le marché dans l’ancien est en pose. Chez Century 21, nos agences sont fermées. Depuis le 12 mars, nous ne passons plus de messages commerciaux aux clients. En revanche, nous avons demandé à tous les collaborateurs d’appeler les clients en stock, les prospects par exemple. Le deuxième temps de notre action, depuis le confinement, a consisté à nous intéresser à toutes les personnes sous promesse de ventes, ou celles qui avaient signé un bail. L’objectif : leur expliquer que les process seraient plus compliqués, plus difficiles à mettre en place, mais que les projets initiés n’étaient, bien sûr, pas remis en cause.

Le réseau reste sous tension, avec un  »live«  que j’organise chaque semaine afin de rendre compte, à nos collaborateurs, de notre plan d’action. Nous les incitons également à mettre à jour leurs bases de données pour redémarrer le 11 mai 2020 de la façon la plus efficace possible. Les collaborateurs de Century 21 restent positifs, comme moi. Et ce, même s’il l’on part sur un terrain inconnu. »

Marc Villand, président de la Fédération des promoteurs Immobiliers (FPI) Ile-de-France et PDG d’Interconstruction :

« Concernant la situation des chantiers en Ile-de-France, d’abord, nous avons constaté très peu de désistement liés à la crise du Covid-19. Ce qui est un très bon signe. D’autre part, tous les promoteurs sont concentrés sur la reprise. A ce jour, 30 % des chantiers sont actifs et l’on espère atteindre les 80 % d’ici le début du déconfinement. Pour sûr, la reprise se fera avec des mesures et de la coordination entre tous les métiers.

Autre sujet d’importance : les autorisations d’urbanisme. Certes les maires ont un nombre important de sujets à traiter, et certains sont prioritaires, on pense au redémarrage des écoles ; aussi, ils font face à l’absentéisme de nombreux fonctionnaires. Pour autant, nous avions constaté, avant cette crise, une baisse des autorisations d’urbanisme de 25 %. Et depuis, très peu de permis ont été délivrés, ce que nous déplorons. Deux points positifs, toutefois : félicitons-nous que le banques ne durcissent pas leur condition, et que les entreprises puissent avoir recours au chômage partiel, un formidable amortisseur social. »

François Maillard, Président de Spie Batignolles Immobilier (conception et construction immobilière) .

« La priorité est au redémarrage de l’activité et des chantiers en veillant à la bonne la santé de leurs différents intervenants. Et il est fort à parier que ces nouvelles conditions de travail perdureront longtemps. A présent, sur l’aspect commercial : dans l’industrie de l’hôtellerie, le temps est suspendu, les décisions sont arrêtées. Et pour cause, sur ce secteur, qui est l’un des plus touchés de notre économie, les acteurs sont incapables de prendre des décisions les engageant dans la construction de nouveaux hôtels, à l’horizon de 18 ou 24 mois. Autre secteur, celui de l’immobilier de bureau : là aussi, la situation est suspendue. Les entreprises ne sont, à l’heure actuelle, pas capables d’envisager des déménagements. Quant aux investisseurs, ils ne prennent pas de décisions. »

Pierre Sorel, Président d’Hibana (promotion immobilière) :

« Un premier point par rapport aux banques : je trouve que leurs positions se durcissent, en matière de conditions d’octroi de crédits. Pour notre profession, ils ne sont pas inscrits dans une dynamique porteuse. Est-ce aussi dû à la taille des opérateurs ? C’est possible. Pour les acquéreurs aussi, c’est plus compliqué : on leur demande plus d’apports. Deuxième point s’agissant du marché : nous avons enregistré une baisse très nette des contacts depuis le début du confinement, nous sommes descendus à 20 % de nos demandes habituelles. Des ventes ont tout de même été réalisées, mais elles ont concerné surtout de l’investissement locatif.

Certes, aucune crise ne ressemble à la précédente. Mais on peut tabler qu’en 2021 nous enregistrerons un rebond de l’activité. Il faut passer la vague. Aussi, le marché de demain sera différent : d’abord, dans la façon de concevoir un logement et un espace de travail, notamment en regard de la montée en puissance du télétravail. C’est certains, le marché va se reconfigurer et pour les plus agiles des opportunités se présenteront. »

Interrogation N°2

Pour la sortie de crise, sur quelles hypothèses travaillez-vous ?

Laurent Vimont, président du réseau Century 21 :

« Personnes ne sait comment la situation va évoluer. Nous faisons face à un trop grand nombre d’interrogations. Quels seront les comportements des banquiers et quels seront les niveaux des taux d’intérêts ? Dans quelles conditions allons-nous redémarrer nos activités le 11 mai  2020 ? Quels seront les comportements des acheteurs et des vendeurs ? Ce qui est sûr, c’est que nous avons, en stock, des milliers de projets acquéreurs déclarés et validés, avec des plans de financement. Et en face, nous avons un nombre d’acheteurs inférieurs. Donc, il est probable que, dans l’ancien, le marché redémarre aussi vite qu’il s’est arrêté.

Autre indicateur positif : l’audience de notre site, qui génère habituellement 2 millions de visiteurs par mois. Il a certes enregistré -52 % au cours des trois premières semaines du confinement par rapport à n-1, mais la semaine du 13 au 19 avril 2020, il n’a réalisé que -12 %. Un certain nombre de Français continuent à regarder le marché. D’autre part, nous n’avons déploré que très peu de vendeurs qui ont retiré leur mandat. On le sent bien : ça frémit à nouveau, les acheteurs appellent les agences, se renseignent. Mais devant l’impossibilité de visiter, forcément le marché est à l’arrêt.

Dernier point : il est probable qu’un nombre croissant de clients fatigués par la ville et le bruit aient envie de tester la maison à la campagne pour se mettre au télétravail. Car cette crise a révélé que l’on est capable de travailler différemment, à distance, avec des réunions moins nombreuses, moins logues, et plus efficaces. »

Marc Villand, Président de la FPI Ile-de-France et PDG de Interconstruction

« On ne connaît pas le scenario de sortie de crise. Ce qui est sût, c’est que le marché, avant le Covid-19, était sur de très bons fondamentaux, avec des taux bas. Sur l’Ile-de-France, il y avait de beaux projets engagés, notamment ceux liés au Grand Paris. La baisse de l’offre neuve avait aussi commencé. Après, se pose cette question : Combien de temps la pause est-elle soutenable ? En Ile-de-France, on compte 80 promoteurs. Pour les 30 premiers, je ne suis pas inquiets. Pour les plus petits, et notamment les nouveaux acteurs, dont le sort est suspendu à un ou deux projets, il pourrait y avoir plus de casse. Et il faudra aussi suivre avec attention comment les prêts garantis par l’État vont être décernés. »

François Maillard, Président de Spie Batignolles Immobilier

« Nous aurons plusieurs horizons de temps. Nous connaîtrons, d’abord, une phase d’adaptation, d’agilité. Une certitude : nous ne savons pas comment le marché va évoluer, et ce jusqu’à la fin de l’année. Jusqu’à cette échéance, nous aurons les yeux rivés sur les signaux qui nous permettront de prendre des décisions. Dans la promotion, nous sommes sur des métiers longs. Notre pire ennemi, dans les six mois à venir, sera la manque de confiance. Est-ce que les acquéreurs dans le neuf vont avoir peur du chômage ? Quel sera l’état de confiance des investisseurs, particuliers ou institutionnels ? Il y a, pour résumer, besoin de se projeter, mais pas de se précipiter. »

Pierre Sorel, Président d’Hibana, société de promotion immobilière.

« Personne ne peut savoir comment le marché va évoluer dans les prochains mois. En revanche, des signaux sont émis - et qui ne datent pas d’aujourd’hui - dans le rapport à l’usage que nous faisons du logement, du bureau et du commerce. Le Covid-19 est un accélérateur de ces questionnements. Nos fondamentaux sur, par exemple, ce qu’est un logement et un espace de travail et comment on y vit, vont être repensés. D’abord, parce que le 11 mai 2020 les entreprises ne fonctionneront pas comme hier. Le roulement du personnel sera différent, le télétravail se développera, et certainement faudra-t-il réorganiser nos espaces de travail. Or, faire du logement, des bureaux, c’est travailler sur des cycles longs : dans les projets sur lesquels nous travaillerons demain, il faudra intégrer cette nouvelle dynamique. »

Interrogation n° 3

Des mesures gouvernementales pourraient-elles accompagner cette relance à très court terme ?

François Maillard, Président de Spie Batignolles Immobilier

« Sur le très court terme, il y a surtout un besoin de clarté. Il faut que tous les maillons de la chaîne soient prêts pour redémarrer. La remobilisation de tous est impérative. On attend des pouvoirs publics du soutien et de la clarté. »

Marc Villand, Président de la FPI Ile-de-France et PDG de Interconstruction

« Des mesures concrètes doivent être prises. D’abord, il faut une fluidité administrative : nous sommes encore suspendus aux élections municipales. Même si 30 000 maires ont été élus, il en reste 6 000 à élire et souvent dans les grandes villes ou métropoles. Ce qui veut dire des PLU (plan local d’urbanisme) et des permis de construire en attente. Autre frein : la numérisation des collectivités locales en terme de télé-instruction des permis. Plus globalement, un renouvellement complet du monde de l’urbanisme est à envisager : il faudra s’inscrire dans la durée, et faire entrer la nature en ville. »

Pierre Sorel, Président d’Hibana, société de promotion immobilière.

« Un impératif : que les administrations s’équipent davantage en outils numériques. Sur la question de la fiscalité : le seul sujet qui permet de relancer de manière efficace l’immobilier en période de crise, c’est la défiscalisation. Certains rétorquent que cela coûte cher. Or, ce n’est pas vrai ! Car lorsque l’on relance une activité comme celle de l’immobilier via ce levier fiscal, on génère de la TVA et l’État s’y retrouve en terme de ressources. »