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Logement : « L’accession à la propriété est la priorité pour renverser la tendance » (M. Mouillart)

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Dans une interview accordée, le 2 avril 2021, à notre partenaire News Tank Cities, Michel Mouillart, professeur d’économie à l’université de Paris Ouest et porte-parole du baromètre des prix immobiliers LPI-SeLoger, nous éclaire sur les raisons qui ont conduit à la baisse, l’an passé, de construction de logements. Et pointe, outre la construction locative sociale, sur quels segments de marché agir en 2021.

Michel Mouillart, professeur d’économie et porte-parole du baromètre des prix LPI-SeLoger - © D.R.
Michel Mouillart, professeur d’économie et porte-parole du baromètre des prix LPI-SeLoger - © D.R.

Comment expliquez-vous les principales baisses de la construction de logements neufs en France en 2020 ? 

La situation du marché de la construction en France n’est pas brillante, loin s’en faut. En 2020, on a construit de 357 000 logements. Dans le même temps, 384 000 permis de construire (ce que l’on appelle autrement les permis autorisés) ont été déposés, mais on sait que plus de 10 % d’entre eux seront ultérieurement annulés, le reste donnant lieu à des ouvertures de chantiers dans des délais allant de 12 à 24 mois.

Il faut donc tenir compte des mises en chantier qui correspondent aux logements livrés. Ce sont donc les unités qui vont alimenter le parc de logements. Aussi, en détaillant l’activité de 2020, on observe une forte chute du niveau de la construction, mais qui ne doit pas surprendre. Car les 357 000 logements commencés sont en fait à comparer à ceux du début du quinquennat 2017, c’est-à-dire 438 000 logements.

Comment s’explique cette « chute » ?

La thèse officielle met en avant la crise sanitaire de la Covid-19 en 2020 qui s’est traduite par l’impossibilité pour les constructeurs et les promoteurs de poursuivre leurs chantiers durant le 1er confinement. Cette chute s’est aussi alimentée durant le 1er confinement de la fermeture des services instructeurs de l’État entre le 15/03 et le 15/06/2021. C’est sans précédent puisque dans le même temps les obligations faites aux entreprises du secteur privé ou aux banques n’avaient pas été levées. Elles devaient éventuellement déclarer leur TVA, par exemple, ou transmettre à la Banque de France et à la BCE leurs statistiques de production de crédits.

Ce n’est donc pas la crise de la Covid-19 qui explique à elle seule une perte de 30 000 mises en chantier par rapport à 2019 et 80 000 mises en chantier par rapport à 2017. L’autre explication officielle est de pointer les maires considérés comme responsables de cette situation en stoppant les constructions nouvelles. Néanmoins, si ce n’était que la seule explication, ce serait la construction de logements collectifs dans de grandes unités urbaines qui auraient porté la chute de la construction. Or il se trouve que la chute des logements neufs est comparable dans les secteurs du collectif et de l’individuel : dans l’individuel, la baisse de la production de maisons individuelles a été comparable à celle des appartements !  

Ce sont les décisions gouvernementales qui ont été prises à l’automne 2017 dans le secteur locatif social au travers de la baisse des loyers, la remise en cause des dispositifs de subventions et les retards dans l’instruction des dossiers et dans le secteur de la maison individuelle, la remise en cause du PTZ et la suppression de l’APL-accession, qui ont causé cette baisse de la construction. L’un dans l’autre, on a vu les aides locatives sociales, les aides à l’accession propriété et les incitations à investir dans le locatif privé être fortement dégradées. Toutes les composantes de la construction, sans aucune exception ont donc reculé en 2020. Accuser les maires, c’est de bonne guerre mais ce n’est certainement pas la bonne explication.  

Peut-on considérer que les élus, à travers le calendrier des élections municipales, ont une forme de responsabilité ?

Il est très compliqué d’affirmer cela. Le point de retournement de la conjoncture précède en général de 20 à 24 mois les élections municipales et les permis de construire nécessitent de 6 à 12 mois d’examen et de traitement au niveau des services des mairies. Cela signifierait que les élus prennent la décision à mi-mandat de stopper l’attribution des permis de construire, pour être réélus. J’ai peine à le croire.

Quelles sont vos explications ? 

Je rappelle qu’en 2017, 105 000 logements locatifs sociaux ont été mis en chantier, compte tenu des agréments de financement accordés durant les années précédentes. Car les mises en chantier renvoient à des agréments qui datent d'1, 2 voire 3 ans. En 2020, on tombe à 82 000 logements locatifs sociaux (93 000 en 2019). Cette chute vertigineuse va déstabiliser l’équilibre du parc locatif social durant les prochaines années. Les dernières annonces en mars dernier d’un accord historique avec le monde du logement social pour agréer 250 000 logements sociaux en 3 ans (dont 90 000 PLAI) nous disent que l’hémorragie va sans doute s’arrêter cette année, mais que le redémarrage n’est pas à attendre avant 2 ou 3 ans.

Sur quels segments de marché agir en 2021 outre la construction locative sociale ? 

Soyons clairs, l’une des composantes de la construction, le logement locatif social est évidemment à prendre en compte, mais l’accession à la propriété reste fondamentale. Et de ce côté aussi, c’est la catastrophe. Si sur le secteur du locatif social, on s’attend à une relative stabilisation dans les 2 ou 3 prochaines années, on craint une nouvelle chute de l’accession à la propriété en 2021. C’est ce qui va encore conduire à la construction de 325 000 logements en 2021, d’après mes estimations. La ministre du Logement devrait annoncer de vraies mesures sur l’accession à la propriété pour renverser la tendance.

Depuis la mise en place du PTZ en 1995, l’accession serait responsable du surendettement et de la faillite des ménages. Pourtant, les commissions de surendettement de la Banque de France n’ont jamais pu l’établir. L’accession à la propriété avec le prêt à taux zéro serait responsable de l’inflation des prix de l’immobilier. C’est peu crédible de penser que les personnes disposant d’un SMIC mensuels sont des vilains spéculateurs. Le PTZ aggraverait les déficits publics. Avec un OAT à 10 ans à -0,15 % en février 2021 et à 5 ans à -0,51 %, le coût budgétaire du PTZ est négligeable… mais il rapporte de la TVA au budget de l’État.

Et pour finir, je tiens à rappeler qu’en 2021, on va construire moins pour 1 000 habitants ce que l’on construisait en 1951, une année peu glorieuse en France où tous les éléments de la relance étaient alors bloqués sur décision d’une administration des Finances qui est restée fidèle à ses traditions.