Portails

Pas d’exode urbain depuis le Covid, mais plus de périurbanisation et de desserrement métropolitain

Le

La crise sanitaire n’a pas provoqué d’exode urbain massif. On constate une légère hausse des volontés de mobilités résidentielles de marchés tendus vers des marchés détendus, qui ne se traduit pas par des déménagements. Cela dit, elle a renforcé des phénomènes déjà observés avant 2019, notamment en termes de périurbanisation et de desserrement métropolitain.

La Covid a-t-il entrainé un exode urbain massif ? Les réponses - © D.R.
La Covid a-t-il entrainé un exode urbain massif ? Les réponses - © D.R.

Tel est le principal constat établi par le rapport “Exode urbain : un mythe, des réalités” présenté à l’hôtel de Beauvau, le 17/02/2023.  Cette recherche, financée par le Plan urbanisme construction architecture (Puca)/Popsu et le Réseau rural français, est basée notamment sur deux études :

• Une étude quantitative sur les aspirations des Français à partir des données LeBonCoin, selon laquelle les tendances ne dessinent pas de volonté générale de départ de l’urbain vers le rural, mais plutôt une augmentation des projections des communes urbaines les plus tendues vers les zones rurales et un tassement des projections des communes urbaines moins tendues vers le rural.

• Une étude quantitative sur les intentions de déménagements entre le 01/01/2019 et le 20/09/2021, à partir des données Meilleurs Agents, SeLoger et La Poste, qui démontre que 82 % des déménagements ont pour destination l’urbain, et que la plupart des déménagements, avant comme après Covid, se font entre des villes de même taille.

Données LeBonCoin : une projection de marchés tendus vers des marchés détendus

L’étude sur les aspirations des Français menée Alexandre Coulondre, Marianne Bléhaut et Claire Juillard à partir des données du site LeBonCoin a démontré une forme de stabilité entre 2019 et 2020. L’autre élément saillant de cette étude est le rôle réaffirmé des métropoles et des grands centres urbains dans les projections. « L’essentiel des flux sont des urbains qui regardent dans leur métropole ou dans d’autres pôles urbains », déclare Alexandre Coulondre, chercheur à l’Université Gustave Eiffel.

« Cela nous invite à relativiser cette notion d’exode urbain, puisque de toute évidence, quand bien même il y aurait des évolutions ces évolutions, elles ne sont pas massives et ne changent pas de fond en comble les le système territorial », ajoute-t-il.

« Il est clair qu’il n’y a pas eu d’exode urbain après la crise sanitaire, mais les projections des communes urbaines les plus tendues vers le rural ont eu tendance à augmenter. Non pas d’ailleurs en plein cœur de de de la crise sanitaire, au moment où nous étions tous confinés, mais plutôt au 2etrimestre 2021. À l’inverse, les projections des communes urbaines moins tendues vers le rural ont eu tendance à légèrement se tasser. »

Les chercheur(e)s retiennent donc deux idées :

  • la propension des urbains à se projeter dans le rural s’accentue quelque peu avec la crise, en tout cas pour les urbains des marchés les plus tendus, mais se joue dans des flux relativement petits ;
  • les tendances ne dessinent pas un départ de l’urbain vers le rural, mais plutôt une projection de marchés tendus vers des marchés détendus.

« Quitter les villes pour la campagne, ce n’est pas forcément les désavouer », déclare Claire Juillard, fondatrice de l’agence de conseil et de recherche OGGI.

L’équipe de chercheurs a également mené des entretiens avec des utilisateurs de l’outil de recherche immobilière de LeBonCoin. « On constate que  finalement, le profil type qui avait pu être véhiculé par certaines analyses préliminaires n’est pas majoritaire. Ce ne sont pas les cadres actifs qui cherchent à se relocaliser grâce au télétravail les plus présents, mais plutôt des personnes en fin de carrière (à la retraite ou en train de préparer leur retraite). Cela va aussi être des projets d’investissement ou de résidences secondaires, mais pas forcément de relocalisation », indique Marianne Bléhaut, chercheure au Credoc.

« Enfin, nous leur avons demandé si la crise a été un motif majoritaire dans leur décision immobilière et, très massivement, la réponse est non. »

Meilleurs Agents, SeLoger et La Poste : 82 % des déménagements ont pour destination l’urbain

L’étude menée par Marie Breuillé, Julie Le Gallo, Alexandra Verlhiac s’est basée sur les données de Meilleurs Agents, SeLoger et La Poste, concernant les annonces immobilières, les estimations de biens, les biens vendus et les déménagements.

Ils démontrent tout d’abord que les utilisateurs urbains semblent chercher plus loin (en dehors de l’agglomération) et plus dans le rural qu’avant la crise. « Nous avons pu reconstituer des flux d’intentions de mobilité entre le 01/01/2019 et le 20/09/2021. La probabilité pour des urbains de rechercher en dehors de son agglomération a augmenté de 13 % depuis la crise. Cette probabilité a également augmenté pour les résidents ruraux mais dans une moindre mesure, avec 10,8 %. Par ailleurs, les utilisateurs qui viennent de l’urbain ont une probabilité de rechercher dans le rural qui a augmenté de 7,7 % depuis la crise. En revanche, nous ne voyons pas de changement significatif pour les résidents ruraux », déclare Alexandra Verlhiac, doctorante pour Meilleurs Agents.

Selon Julie Le Gallo, chercheure à l’Institut Agro Dijon, ces aspirations ne se traduisent pas par une mise en pratique. « La crise sanitaire n’a pas provoqué un départ massif des villes vers les campagnes. La plupart des déménagements avant comme après Covid se font entre des villes de même taille : 36,5 % de grandes villes à grande ville, 12 % entre villes moyennes, 8 % entre petites villes et 7 % entre communes rurales. Il y a même 28 % des déménagements qui se font à l’intérieur de la même commune. » 18 % des déménagements ont pour destination le rural, soit une légère augmentation par rapport à la période pré-Covid, et 82 % des déménagements ont pour destination l’urbain.

En revanche, trois phénomènes se sont renforcés après la crise sanitaire, selon les chercheures :

  • le processus de périurbanisation : augmentation des flux nets de la commune centre vers les autres communes du pôle urbain ou de la couronne, quelle que soit la taille de l’aire urbaine, et du desserrement urbain (déplacements des ménages qui ont pour origine les communes qui sont centres d’équipement vers des communes plus éloignées et moins pourvues) ;
  • un regain d’attractivité résidentielle des territoires ruraux : regain d’intérêt pour les communes rurales (solde migratoire passé de 7,9 ménages pour 1000 à 9,47 ménages pour 1000), solde migratoire en baisse dans les grandes villes et surtout à Paris ;
  • une accélération du processus de rééquilibrage de l’armature urbaine : hausse des déplacements des ménages vers des villes de taille plus petite, baisse des déplacements vers des villes plus grandes.

« Parmi les ménages installés à Paris qui ont changé de résidence principale durant la 1ère année de la crise sanitaire, 7 sur 10 sont restés dans l’unité urbaine de Paris, ce qui est une part importante mais en baisse de 3,6 points par rapport à la période pré-Covid. En proportion, les habitants de l’unité urbaine de Paris sont davantage partis vers des territoires de Provence, vers des grandes villes (+7 points), vers des villes moyennes (+8 points), vers des petites villes (+ 1 point) et vers des communes rurales (+1,2 points) », déclare Marie Breuillé, chercheure à l’Inrae.

Les tendances sur les prix de l’immobilier semblent s’être inversées. Les prix de l’immobilier ont augmenté de+21,5 % dans les zones rurales depuis mars 2020. Dans la période pré-crise, les prix étaient plutôt tirés par les grandes villes françaises. Depuis le Covid, les prix diminuent à Paris (-2,5 %) et montent moins fortement dans les 10 grandes villes de France (+17,4 %, tiré par les prix de Marseille qui augmentent fortement avec +33 % depuis mars 2020). Les prix ont augmenté plus fortement pour les maisons que pour les appartements, notamment dans l’ouest : dans les Côtes d’Armor et le Calvados, le prix des maisons ont augmenté de +41,5 % depuis mars 2020.