« Vers un retournement du marché tertiaire en 2020 » G. Betthaeuser, Colliers international France
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Avec 14 000 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 2,5 Mds € en 2018, Colliers International conseille ses clients pour les aider à imaginer l’immobilier d’entreprise de demain. Son offre se structure autour de 3 métiers, le conseil, la transaction, la gestion de projets et se destine à 2 grands types de clients : les clients institutionnels (propriétaires, promoteurs, investisseurs, opérateurs) et les clients utilisateurs
De part sa fonction, Gilles Betthaeuser, le président de Colliers international France, est un observateur privilégié des profondes mutations que vit ce secteur. Pour nous, il nous livre les grandes tendances de ce marché.
Comment évolue le marché tertiaire parisien et francilien en 2019 ?
Nous allons vers un retournement du marché tertiaire en 2020, et 2019 sera une année charnière. Nous observons un tassement de la demande des investissements étrangers notamment en dehors de Paris. La recherche immobilière, la capacité de « matcher » avec l’offre disponible et la capacité de transformation des sujets chez les clients sont les principaux indicateurs pour évaluer les perspectives du marché. Nous avons beaucoup de projets en réflexion, qui ne se traduisent pas par des décisions.
Quels sont les chiffres de conjoncture du marché tertiaire francilien au 1e trimestre 2019 ?
Le début 2019 a été marqué par une baisse de la demande placée (-23 % sur 1 an), affichant 541 300 m² commercialisés. Il s’agit d’un recul relatif puisque le 1e trimestre 2018 avait été très performant, notamment grâce aux 21 grandes (supérieures à 5 000 m²) et très grandes transactions (supérieures à 20 000 m²), dont Vinci, Technip et Altice. Au regard des volumes transactés aux 1e trimestres depuis 10 ans, le début 2019 se place au-dessus de la moyenne décennale de 535 000 m².
Si Paris reste une place forte de l’activité transactionnelle (40 % de la demande placée du trimestre), avec 210 000 m², notamment le secteur de Paris Centre Ouest (137 000 m²), il n’en reste pas moins que les surfaces transactées ont nettement diminué (-28 %). Cela au profit de la 1re périphérie, qui augmente son poids dans la demande placée d’Île-de-France, avec plus de 50 % au 1e trimestre 2019. Elle bénéficie directement des reports d’implantations parisiennes, la capitale souffrant d’un manque d’offres (taux de 2,3 % de vacance). À l’échelle de l’Île-de-France, les loyers des bureaux de 1e main poursuivent leur hausse (+4 % en 1 an) comme ceux de seconde main (+3 %).
Que recherche avant tout une société utilisatrice de bureaux ?
S’il y a quelques années, on raisonnait beaucoup plus en termes d’accessibilité, la localisation est devenue aujourd’hui essentielle. Une question fondamentale se pose : c’est l’articulation entre le développement tertiaire dans des zones endogènes purement pensées pour cela comme La Défense, Issy-les-Moulineaux, Vélizy-Villacoublay et puis des zones où le tertiaire s’inscrit dans une mixité urbaine qui est beaucoup plus forte et où les entreprises peuvent donner à leurs salariés le meilleur niveau de confort mais aussi une interaction avec la ville. Je pense à Paris, Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret.
La localisation d’un siège est très essentielle car quand il s’agit de retenir des talents, de favoriser les interactions, en particulier les rendez-vous. Par conséquent, la centralité et la localisation plus que l’accessibilité immédiate sont très recherchées par les entreprises. La ville est un endroit où l’on vit et travaille.
Avez-vous le sentiment que les municipalités souhaitent accueillir à tout prix des sièges de grandes entreprises, devenues aujourd’hui des « outils de marketing » ?
Au dernier Mipim à Cannes, en mars 2019, on a observé chez les collectivités un niveau d’attractivité différent et de mobilisation complètement hétérogène. La Ville d’Issy-les-Moulineaux a connu un fantastique développement tertiaire parce que des responsables aux commandes ont su trouver dès le départ un très fort élément de langage, la bonne vision, la bonne articulation avec l’ensemble des acteurs pour développer une offre de grande qualité.
Comme nous le savons, l’offre génère la demande. La politique de la ville en matière tertiaire se pense à 5 ans, voire 10. Colliers international France a été le premier à implanter, à Bezons (Val-d’Oise), il y a 10 ans, le campus urbain « Atos » sur une une zone tertiaire qui n’existait pas.
Quel regard portez-vous sur le marché du tertiaire en Seine-Saint-Denis en vue des Jeux Olympiques de Paris 2024 ?
La zone Pleyel en Seine-Saint-Denis a beaucoup d’avantages, de localisation, d’accessibilité, de proximité avec Roissy-Charles-de-Gaulle et de manière générale une attractivité assez naturelle. Malgré tout, elle ne bénéficie pas forcément d’une image extraordinaire pour un ensemble de raisons. Le sujet de la sécurité peut freiner les investisseurs étrangers. Un utilisateur réfléchit à trois fois avant de localiser un siège et veut surtout éviter les problèmes sociaux, de sécurité, qui peuvent présenter des obstacles lourds d’implantations. Il faut traiter ce sujet de sécurité à bras-le-corps.
Au-delà de tout l’effort consacré dans le cadre des Jeux Olympiques en 2024, je pense que la Seine-Saint-Denis doit s’astreindre encore et encore à répéter les mêmes choses et à le démontrer. L’agrément général des sites, très minéral, doit être travaillé. On déplore le manque de lisibilité architecturale sur cette zone-là. Je prends souvent l’exemple de la transformation des alentours de la gare Saint-Pancras à Londres. Faisons alors à Saint-Denis Pleyel ce qui a été fait à Saint-Pancras. Il ne faut pas réfléchir seulement à des programmes de bureaux mais à des nouvelles écoles, des musées, et à l’utilisation des voies navigables, par exemple, pour se réapproprier le territoire de la Seine-Saint-Denis.
La Rédaction