Des actifs bloqués par des valeurs d’expertise trop élevées (V. Bollaert, Knight Frank)
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Dans une interview exclusive accordée à notre partenaire News Tank Cities, Vincent Bollaert, CEO France de Knight Frank, analyse l’évolution, en France, des marchés de l’immobilier commercial et tertiaire.
Les stratégies d’investissement doivent tenir compte d’un nouvel environnement économique et financier pour les actifs immobiliers, chamboulé en 2020 selon les segments. Que disent-elles en ce début 2021 ?
Chaque jour, nous constatons que les demandes des investisseurs sont grandes, motivées, que les liquidités sont importantes. Les stratégies d’investissement font preuve d’imagination, que ce soit dans le résidentiel et ses activités connexes, ou dans la logistique, notamment urbaine. Les nouveaux usages attirent et il y a une demande forte d’alternatives au bureau et au commerce.
Le Covid et les crise sanitaire sont passés par là. Mais, en France, la notion anglo-saxonne du PRS qui allie offre servicielle et qualité du bâti, dans du locatif géré, n’est pas très développée. Encore peu de foncières ont cette approche du marché. Des solutions contractuelles qui ne sont ni des baux résidentiels ni des actes de propriété mais qui donne accès à un usufruit plus flexible. Les investisseurs restent sélectifs, privilégiant les actifs offrant des revenus stables et sécurisés, résistant à la crise sanitaire, comme la logistique ou le résidentiel. Ce qui va accélérer les stratégies de diversification.
Depuis 2019, la transformation de bureaux vacants en logements fait l’objet d’un portage politique au niveau national, renforcé par le déploiement massif du télétravail en 2020.
Les effets d’annonce sont nombreux à ce sujet, depuis quelques mois. Il y a une volonté générale affichée. Mais de nombreux maires se montrent encore réfractaires, certains à juste titre, y compris dans les communes carencées en logements sociaux. Il y a parfois des blocages à ce niveau, même si le PLU d’une commune permet ces transformations. Ensuite, la logique économique et les contraintes techniques et administratives rendent ces transformations difficiles, voire le transforment en un chemin de croix. Au final, je ne suis pas sûr que les résultats seront à la hauteur des espérances et des discours du moment.
Les quartiers d’affaires sont-ils plus menacés, à commencer par le plus important d’entre eux en Ile-de-France, celui de La Défense (Hauts-de-Seine) ?
Concernant La Défense, quand on regarde froidement les chiffres, il n’y a pas lieu de tirer la sonnette d’alarme même si une importante vague de livraisons est programmée avec les tours Alto, Trinity, Landscape… Les visites continuent et l’intérêt pour ce quartier, très bien desservi par les transports et mieux équipé en lieux de vie et de loisirs, n’a pas cessé.
On pourrait être plus inquiet par le devenir de certains immobiliers de bureaux dans la zone péri-Défense ou en Seine-Saint-Denis. Dans la situation actuelle, le rapport de force propriétaires-preneurs est clairement au bénéfice de ces derniers, pour qui il y aura un effet d’aubaine évident et des coups à faire, sur des immeubles qui, hier, leur étaient inaccessibles. La baisse des valeurs faciales et les mesures d’accompagnement en hausse vont créer des opportunités dans des immeubles labellisés qui ont des terrasses, des rooftop, des conciergeries, des restaurants…
Comment évaluer l’impact des labels, dont le label ESG, et des critères extra-financiers sur le devenir d’actifs immobiliers, surtout dans l’ancien ?
Pour tous les investisseurs, la question des labels environnementaux est centrale et arrive après les critères évidents de la localisation de l’actif et de son prix. Le label est devenu une nécessité absolue, notamment chez les grands assureurs français à 100 %. Mais il ne faut pas cacher que cette tendance peut créer un cercle vicieux. Certains immeubles détenus par des foncières et SCPI, sans label, deviennent obsolètes et sont donc invendables en l’état, bloqués par des valeurs d’expertise trop élevées. Si ces valeurs d’expertise sont révisées à la baisse, l’essor du résidentiel et la montée en puissance des nouveaux usages vont redonner de l’espoir sur certains actifs immobiliers.
Concernant l’immobilier commercial, fortement impacté en 2020, nombre de commentaires appellent à la prudence. Quelle est votre analyse ?
Dans ce secteur, le cercle vicieux est déjà à l’œuvre, il est nourri par des valeurs d’expertise encore déconnectées de la réalité du marché. Le taux de vacance grimpe, les charges grimpent et les loyers diminuent. Ça ne veut pas dire que le risque touche tous les centres commerciaux ou retail parks en France, loin de là, ça veut dire qu’il faut aller dénouer des situations là où il y a trop de surfaces commerciales, et trop de vacance.
Après de belles performances en 2019, le marché des commerces a été directement impacté par l’épidémie de Covid-19. Elle a accéléré les transformations en cours et exacerbé les interrogations sur le devenir de certains actifs commerciaux et mis au frigo tous les projets de développement. Il y a un vrai sujet sur cette typologie d’actif et des diversifications à imaginer, qui ne se limitent pas à transformer des centres commerciaux en entrepôts logistiques. Il faudra être plus imaginatif.