« Nous sommes dans une crise immobilière lourde et profonde » (Benoist Apparu, Emerige)
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Quels sont les besoins prioritaires des promoteurs dans cette crise du logement ? Quel travail mener avec les élus pour relancer la construction ? Quels impacts de la disparition des passoires thermiques pour les constructeurs ? Quelles solutions privilégier pour décarboner efficacement les bâtiments ?… Benoist Apparu, ancien ministre délégué au Logement (2009-2012) et désormais président d’Emerige, groupe spécialisé dans la promotion de bureaux et logements et dans la restructuration d’actifs immobiliers, a répondu aux questions de notre partenaire News Tank Cities
Des initiatives comme celle du Conseil national de la refondation (CNR) Logement ont-elles un impact positif sur le secteur immobilier ?
Il est crucial de multiplier les lieux d’échanges et de réflexions pour conscientiser et penser l’immobilier de demain. Même si l’engagement des métiers de l’architecture et de l’urbanisme est fort, le secteur de l’immobilier dans son ensemble est sous-investi. Il est temps de développer notre capacité de recherche en matière de politique publique immobilière, en évitant l’accumulation de nouvelles lois qui complexifient les évolutions futures. Les commissions actuelles doivent être mises à profit pour réfléchir aux mesures à adopter sans nécessairement s’appuyer sur des textes législatifs supplémentaires.
Le secteur de l’immobilier dans son ensemble est sous-investi.
Les initiatives d’entreprises et les think-tanks sont nécessaires pour nourrir les débats et développer une vision commune. À la suite du CNR logement, il est évident que toutes les propositions ne seront pas retenues, mais ces travaux nous obligent à sortir de nos facilités intellectuelles et à travailler ensemble pour atteindre un même objectif. Enfin, l’échange entre les acteurs doit permettre à l’immobilier de se libérer de sa dépendance aux financements publics afin de favoriser l’innovation et les avancées durables.
Quelles sont les besoins prioritaires des promoteurs pour faire face à la conjoncture ?
Les pouvoirs publics ne sont pas assez conscients de l’ampleur de la situation. Nous sommes dans une crise immobilière lourde et profonde et nous ne savons pas encore quand elle s’arrêtera. Depuis les années 90, nous faisons face à une crise historique de l’offre dans les zones tendues, désormais la demande est également dégradée. Un secteur d’activité peut rarement rester pérenne sans ces deux moteurs. Il est donc impératif d’accompagner le secteur grâce à des mesures, financières ou non, prises avant septembre 2023. À court terme, il est essentiel de trouver une alternative au dispositif Pinel car les prix de vente en France restent très élevés, ce qui empêche certains acquéreurs potentiels de réaliser leur projet immobilier.
Les prix du foncier doivent être aujourd’hui la principale préoccupation des pouvoirs publics.
Une solution serait de fusionner le Pinel et le PLI pour réunir l’épargne des ménages et des institutions en un seul produit. Toutefois, la rareté et les prix du foncier doivent être aujourd’hui la principale préoccupation des pouvoirs publics. Pour y remédier, il est nécessaire de promouvoir les constructions sur des terrains déjà artificialisés. Il faut mettre à niveau les prix des terrains de « seconde main » afin de les rendre plus attractifs pour les investisseurs. Il est également impératif de mettre fin à la logique inflationniste des prix des terrains, en privilégiant la qualité du projet plutôt que le système d’enchères qui peut être nocif pour le secteur immobilier. La constitution de réserves foncières par des aménageurs publics, tels que Grand Paris Aménagement, peut servir de source d’inspiration pour les politiques publiques en la matière.
Quelle sera l’influence de la possible disparition des passoires thermiques sur le marché de la location pour les constructeurs ?
Le débat sur l’interdiction des passoires énergétiques met en lumière les difficultés des décideurs à encourager des décisions qui vont pourtant dans le bon sens. À l’horizon 2034, il existe un risque réel de voir ces logements obsolètes disparaître du marché. Cependant, même face à la pénurie de logements, il est crucial de les éliminer pour améliorer l’efficacité énergétique du secteur immobilier. Pour y parvenir, il est nécessaire de favoriser la rénovation et de soutenir les constructions neuves. En plus de faire face à la croissance démographique, les nouvelles constructions devront compenser la perte de logements jugés obsolètes. L’ambition d’Emerige en la matière est forte puisque nous sommes engagés sur une trajectoire RE 2020 -10 % à horizon 2030. À compter de 2023, nous supprimons ainsi tout recours aux énergies fossiles, au gaz en particulier, et à privilégier les énergies renouvelables pour le chauffage de tous nos projets immobiliers futurs.
Quelle est votre position sur le sujet du ZAN (zéro artificialisation nette) ?
Le ZAN est probablement l’outil le plus efficace et le plus durable pour lutter contre le réchauffement climatique. Il n’y a aucun débat à avoir sur la légitimité du ZAN. L’artificialisation des sols est responsable d’une quantité importante des émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, le modèle mondial de développement des villes est basé sur l’étalement urbain.
Il faut donc aller à contre-courant de 5 000 ans d’urbanisme.
Il faut donc aller à contre-courant de 5 000 ans d’urbanisme. De plus, en stoppant le développement horizontal cela va logiquement nous permettre de consommer avec frugalité le foncier. Pour l’instant les élus écoutent leurs habitants qui sont contre le développement vertical. Il est pourtant nécessaire d’élever l’immobilier des villes pour répondre aux besoins démographiques et économiser des terrains qui se font de plus en plus rares.
Comment travailler avec les élus et maires pour relancer le nombre de construction ?
L’État doit faire le tampon entre les objectifs politique et urbain d’une collectivité locale et les objectifs de construction globale liés à la croissance démographique du pays. Le PLU est un outil puissant qui dessine à long terme l’évolution d’une ville. Une fois celui-ci validé par l’État, il est important que l’obtention d’un permis de construire ne dépende pas de critères n’étant pas présents dans le PLU. Au regard de la rareté du foncier, il parait incohérent de construire des immeubles de quatre étages alors qu’un PLU en autorise six.
Pensez-vous que la mixité des quartiers de ville est un élément primordial pour l’urbanisme du futur ?
Pour éviter de répéter les erreurs du passé, il est essentiel de connaître notre histoire. Les quartiers monofonctionnels sont le résultat de décisions prises entre les années 1950 et 1970, en accord avec les principes énoncés par la Charte d’Athènes dès 1943. Les grands quartiers de bureaux et de logements qui ont émergé peuvent aujourd’hui être considérés comme des erreurs historiques, car ils ne prennent pas en compte la réalité de la vie quotidienne des citoyens. En effet, chaque personne a des besoins différents, qu’il s’agisse de consommer, de travailler, de se loger, de se cultiver ou de se divertir.
La réponse à l’urbanisme de demain est la mixité des usages
En éclatant ces différents pôles d’activités sur de nombreux kilomètres, nous ignorons les besoins humains réels. Cependant, il faut être conscient que cette manière de concevoir la ville a duré 50 ans et que les changements ne peuvent être effectués que progressivement, à raison d’environ 1 % de modifications par an. La réponse à l’urbanisme de demain est donc dans la mixité des usages, comme en témoigne le projet Morland Mixité Capitale d’Emerige à Paris (4e arrondissement), qui conçoit l’immeuble comme un quartier où coexistent onze programmes différents, tels que des bureaux, un marché couvert, une crèche, une auberge de jeunesse, des commerces et une piscine, et où 5000 personnes peuvent se croiser quotidiennement.
Comment l’habitat peut-il évoluer face aux nombreux changements démographiques ?
En France, nous ne tirons pas suffisamment avantage des données démographiques. Je prendrais l’exemple des familles. Nombreuses se décomposent et se recomposent et le volume occupé par une même famille peut être multiplié par deux en quelques mois. Le vieillissement de la population est également un enjeu majeur, car l’espérance de vie augmente, ce qui accroît le besoin de logements adaptés (résidences gérées, résidences autonomie, EHPAD, etc.). Toutefois, il est important d’uniformiser les baux pour éviter d’ajouter de la complexité à l’aide apportée aux personnes âgées. Il est impossible d’avoir à la fois de l’adaptabilité et de la simplicité, et il convient de prendre en compte les complications réglementaires que cela peut entraîner.
Quelles sont les solutions pour décarboner efficacement les bâtiments ?
Afin de réduire l’empreinte carbone du secteur du bâtiment, il est important de privilégier des matériaux bas-carbone tels que le béton bas-carbone, le bois et la pierre. Cependant, il est important de ne pas se limiter à un seul matériau car la diversité des outils de construction permet de préserver la qualité architecturale. Cela permettra également de créer des immeubles plus durables, comme les immeubles haussmanniens qui ont résisté à l’épreuve du temps.
Privilégier la durabilité des bâtiments
Pour minimiser l’impact carbone, le remplacement du parc immobilier existant doit se faire sur des périodes plus longues. Il n’existe pas de solution miracle pour décarboner le secteur du bâtiment, mais en choisissant des matériaux adéquats, en privilégiant la durabilité des bâtiments et la diversité architecturale nous pouvons contribuer a décarboner l’industrie immobilière.
Face à l’expectative du secteur, identifiez-vous des perspectives optimistes quant à l’environnement financier pour 2023 ?
Le secteur immobilier est connu pour sa grande résilience face aux crises. Bien que les taux d’écoulement semblent bas actuellement, il convient de garder à l’esprit que nous étions habitués à des taux extrêmement élevés. Nous devons relativiser les problèmes de commercialisation, même s’ils sont préoccupants.
Une sortie de crise en 2024
Toutefois, il est important de ne pas paniquer et de garder espoir en une amélioration future. Nous pouvons espérer un cycle défavorable relativement court, indiqué par des signes avant-coureurs tels que la stabilisation des coûts de travaux, la baisse de l’inflation et une croissance économique stable. Bien que l’année 2023 s’annonce difficile, nous pouvons raisonnablement espérer une sortie de crise en 2024.