« Le marché immobilier a entamé un nouveau cycle » (Yann Jéhanno, président de Laforêt)
Par Christian Capitaine | Le | Réseau de franchisés
Pour Yann Jéhanno, président de Laforêt, « nous avons 6 à 9 mois devant nous pour nous adapter à la nouvelle donne du marché immobilier et retrouver nos marques ». Car, affirme-t-il à Immomatin, « la frénésie que l’on a connue est bel et bien derrière nous ; nous assistons à un retour à la normalité. » Le président de la franchise immobilière (720 agences en France) dresse également un bilan d’étape pour l’activité de son réseau à l’issue du troisième trimestre 2023.
Quel bilan dresser, concernant l’activité transaction, pour Laforêt à l’issue du troisième trimestre 2023 ?
Avec, d’une part, un ralentissement de la demande (soit -15 % au niveau national sur 12 mois à fin septembre 2023) et, d’autre part, des vendeurs qui se sont arc-boutés sur leur prix lorsqu’ils n’étaient pas contraints de vendre, cela a entrainé des transactions qui ont prix plus de temps à se conclure, soit 8 jours supplémentaires en 1 an, et un volume qui s’est mécaniquement tassé.
Sur cette période, le réseau Laforêt a enregistré une baisse du volume de ses transactions de 15 % au niveau national, dont -14 % en régions, -17 % en Ile-de-France et -6 % à Paris.
Rappelons que le point de départ de cette contraction du marché est l’année 2022, qui fut extrêmement forte. Résultat : nous devrions atterrir, fin 2023, sur des niveaux de transactions tout de même assez soutenus, soit ceux enregistrés en 2018.
Sur 12 mois, Laforêt a enregistré une baisse du volume de ses transactions de 15 % au niveau national
Deux autres faits majeurs sont à retenir, pour cette année, toujours sur ce volet transaction : 1/ Ce sont les habitants locaux, historiques, qui ont fait tourner le marché. 2/ Les acquisitions sont désormais systématiquement motivées par un projet de vie - mutation professionnelle par exemple - quand certaines s’inscrivaient, il y a encore peu, dans une démarche de recherche de confort.
Vous pointez également, dans votre dernière note conjoncturelle, une part significative des primo-accédants qui renoncent à leur projet immobilier…
Oui. Après avoir porté le marché immobilier ces dernières années, les primo-accédants ne représentent plus que 20 % des acquéreurs [En 2019, 56 % des acquisitions faites au sein du réseau Laforêt l’étaient par des primo-accédants].
A présent, ce sont les secundo-accédants, davantage finançables car ils jouissent doublement du fruit de la vente d’un logement et d’un montant d’épargne plus important du fait de leur âge, qui drivent le marché : ils sont désormais à l’origine de plus de 1 transaction sur 2.
Les primo-accédants ne représentent plus que 20 % de nos acquéreurs
Plus globalement, les acquéreurs restent contraints par les conditions rigoureuses imposées par les banques et le Haut conseil de stabilité financière (HCSF). À cela s’ajoutent la conjoncture macro-économique et l’inflation qui amputent le pouvoir d’achat des Français.
Dans ce contexte, qui sont les plus impactés ? Ce sont les plus exposés, c’est-à-dire les jeunes actifs, qui ont du mal à se constituer un apport et à passer sous les critères du HCSF, et les foyers les plus modestes.
Au niveau des prix de l’immobilier, quelles grandes tendances avez-vous observées au cours des derniers mois au sein de votre réseau ?
La tendance observée dès le début d’année se poursuit : la baisse des prix gagne l’ensemble de la France, tout en restant insuffisante pour resolvabiliser les acquéreurs.
Beaucoup d’observateurs regardent le marché immobilier comme un marché financier et spéculatif, en se disant qu’avec moins d’acquéreurs et des taux plus élevés, les prix vont immanquablement s’écrouler. Or, l’immobilier n’est nullement un marché spéculatif, c’est un marché d’utilisateurs, avec des femmes et des hommes qui vivent dans leur logement. Lorsqu’ils ne sont pas contraints de vendre, les vendeurs ne baissent pas leur prix. En conséquence, cela nous amène à une situation où la baisse des prix s’effectue suivant une pente douce.
Nous observons, par ailleurs, de grands écarts en terme d’évolution des prix en fonction des secteurs géographiques. Prenons tout d’abord Paris : la capitale, où les prix baissent depuis plusieurs mois (nous sommes désormais sous la barre des 10 000 euros le mètre carré), continue sur cette tendance de repli.
La région la plus impactée par la baisse des prix est l’Ile-de-France
La région la plus impactée par cette baisse demeure l’Ile-de-France : nous sommes ici sur marché de report de Paris, où l’on y retrouve des maisons individuelles, des appartements avec terrasses, et où les prix avaient flambé ces dernières années lorsque les Parisiens, dans le contexte Covid, avaient fait des sauts de puces.
S’agissant des métropoles, les baisses se révèlent pareillement significatives, qu’elles concernent des villes comme Lyon où Bordeaux. A l’opposé, Marseille la belle endormie, continue de se redresser, à l’instar également de Toulouse et de Lille.
Votre dernière note conjoncturelle fait état d’un marché de l’immobilier locatif très tendu…
Cette situation de tension, tout à fait inédite sur le marché locatif en France, est la conjonction de deux facteurs.
Il y a tout d’abord la situation des primo-accédants qui, exclus du marché de la transaction, n’alimentent plus ce marché locatif car ils restent plus longtemps dans leur logement. Résultat : la durée d’occupation moyenne d’un logement en location, au sein du réseau Laforêt, a augmenté de 5 mois au cours des 12 derniers mois.
Deuxième facteur : le fait que les investisseurs, qui d’ordinaire alimentent ce marché locatif, se fassent de plus en plus rares car ils doivent composer avec un empilement des contraintes qui dégradent la rentabilité de leur placement : encadrement des loyers, augmentation de la taxe foncière, nouvelles obligations en matière de rénovation énergétique…)
Quelles mesures doivent être prises, selon vous, pour relancer le marché immobilier ?
Je retiens trois horizons. Premièrement l’immédiateté, qui appelle à nous interroger sur la manière dont on peut redonner de la fluidité au marché. Sur ce point, il faudrait reconsidérer les critères du HCSF et permettre aux primo-accédants d’emprunter non plus sur 25 ans, mais sur 27 ans, comme cela est possible lorsque l’on achète en VEFA.
Il faudrait également inciter les banques à jouer leur rôle. Certes les établissements bancaires régionaux et coopératifs continuent à bien soutenir leurs clients, mais ce n’est pas le cas de certaines banques nationales qui se sont mis en retrait, même si elles annoncent aujourd’hui vouloir revenir sur le marché.
Il serait bon de se pencher sur le statut du bailleur privé que tous les professionnels de l’immobilier réclament depuis des années
A moyen terme, il serait bon de se pencher sur ce fameux statut du bailleur privé que tous les professionnels de l’immobilier réclament depuis des années. Ce que l’on veut, c’est un statut de droit, qui ne soit pas remis en cause tous les ans avec la nouvelle loi de finances. Ce statut de droit doit être gravé dans le marbre. Il doit donner un avantage fiscal, des contraintes et une éco-responsabilité.
Quant au plus long terme, nous avons besoin d’une nouvelle politique du logement. Ce qu’il faut, c’est travailler sur l’aménagement du territoire pour encourager les mobilités : si nous vivons cette crise du logement, c’est notamment parce qu’aujourd’hui les Français n’ont pas d’autres choix que d’habiter là où ils sont, car c’est là que sont les emplois, l’éducation pour les enfants, les indispensables services publics, les loisirs et la culture.
Seriez-vous favorable à une révision du calendrier concernant les interdictions de location des passoires thermiques ?
Deux enjeux majeurs se dressent devant nous. D’une part, il faut loger tous les Français. (L’Abbé Pierre ne disait-il pas que « Gouverner, c’est d’abord loger ses concitoyens » ?) D’autre part, il nous faut mener cette transition énergétique. Mais ce double constat étant fait, il ne fait aucun que le calendrier de rénovation énergétique tel qu’il est établi s’avère totalement irréaliste.
Tout d’abord, les entreprises du bâtiment habilitées RGE sont en trop faible nombre (elles sont à peine 60 000 alors qu’il en faudrait, de l’aveu de Bruno Lemaire, 4 fois plus pour mener les travaux de rénovation). Aussi, on sait que MaPrimeRénov’ est utilisée très majoritairement par les propriétaires occupants (et non pas par les bailleurs) et trop peu souvent pour des rénovations complètes.
Je milite pour une extension du prêt Avance rénovation
On sait également que les Français, en cette période d’inflation, n’ont pas envie de s’endetter pour payer la transition verte. Il est ainsi urgent de revoir ce calendrier. Nous avons besoin d’un réel soutien public, même si, c’est vrai, l’argent manque dans les caisses de l’Etat.
Par ailleurs, d’autres solutions existent pour relancer la mécanique : à titre personnel, je milite pour une extension du prêt Avance rénovation, qui est un prêt hypothécaire pour financer des travaux de rénovation énergétique, et que l’on rembourse lors de la vente du logement ou de la succession. Garanti par l’Etat dans sa quasi-totalité mais réservé aux foyers très modestes, il gagnerait à être ouvert plus largement.
L’Autorité de la concurrence rendait public, en juin dernier, un rapport très conversé pointant notamment des honoraires trop élevés pratiqués par la profession des agents immobiliers. Quelle a été votre réaction à sa lecture ?
La loi Hoguet, qui est visée dans ce rapport, encadre notre profession depuis 1970 pour assurer la sécurité des consommateurs. Et ce texte, on y tient !
L’Autorité de la concurrence parle notamment dans ce rapport de transparence. Or, les professionnels de l’immobilier n’ont pas attendu cette publication pour faire figurer dans un mandat de vente la liste des prestations apportées. Chez Laforêt, cela fait 32 ans qu’on le fait.
Quant à la question des honoraires qui est reprise dans ce rapport, il faut rappeler qu’ils ne sont pas une charge augmentative du prix, et que les Français ne sont pas obligés de passer par une agence immobilière pour vendre leur bien. Le marché immobilier est libre, la concurrence existe. Et laisser croire qu’il y aurait des économies à faire pour les Français, c’est faux, voire malhonnête.
L’erreur de diagnostic de l’Autorité de la concurrence est totale. C’est la crise du logement qu’il faut adresser.
Où en est le développement du réseau Laforêt ?
Nous comptons à l’heure actuelle 720 points de vente en franchise, avec une soixante d’unités qui sont en phase d’ouverture ou de reprise.
Malgré la crise qui sévit, nous n’avons pas revu nos objectifs de développement à la baisse : nos outils de géomarketing nous disent que, au regard de la géographie du pays, du volume de transactions réalisé et de l’évolution de la démographie, il nous faut un millier d’agences immobilières pour couvrir le territoire.
Plusieurs centaines d’agences immobilières ont fermé en France ces derniers mois eu égard au contexte de crise du marché. Le réseau Laforêt est-il également concerné par des fermetures de points de vente, ou va-t-il l’être prochainement ?
A la question de savoir si, premièrement, il y aura de la casse, globalement, sur le marché de la transaction immobilière ? La réponse est « oui ». Des agences fermeront, notamment celles qui avaient ouvert par opportunité, ou celles qui n’ont pas su prendre le bon virage dans la relation client, la digitalisation ou la formation.
S’agissant de Laforêt, nos craintes actuelles portent plutôt sur le volet emploi : dans certaines de nos agences, des départs de salariés n’ont pas été remplacés et plusieurs ont figé leur recrutement.
Dans certaines de nos agences, des départs de salariés n’ont pas été remplacés et plusieurs ont figé leur recrutement
Est-ce que, à l’avenir, on peut dire de manière certaine que les agences Laforêt ne seront pas impactées par cette crise et que certaines ne fermeront pas leurs portes ? La réponse est « non », je ne veux pas faire de démagogie. Des risques existent, certaines agences identifiées ont des trésoreries tendues car elles sont positionnées sur des marchés plus difficiles, je pense à l’Ile-de-France.
Reste que, globalement, les réseaux organisés comme Laforêt résistent mieux à la baisse du marché car ils sont mieux équipés, mieux structurés et disposent d’outils pour aller chercher des contacts vendeurs et acquéreurs.
Certes, les enseignes nationales enregistrent des baisses de transactions, mais dans des proportions moindres que celle du marché global. On sait que 2023 va atterrir sur un repli compris entre -20 % et -25 %, quand chez Laforêt, nous devrions afficher -15 %.
Combien de temps cette crise du marché de l’immobilier va-t-elle durer ?
Répondre à cette question signifierait que l’on vit une situation anormale. Or, je regarde le marché différemment. Je rappelle que nous sortons de 4 années folles, avec des volumes de transactions jamais atteints.
Nous sommes de retour sur une sorte de normalité en termes de volumes de ventes et de prix. Nous sommes dans le virage. Nous devons nous adapter. Oui, la crise du logement est là. Mais pas d’inquiétude outre mesure, nous sommes en train de changer de cycle.
Nous avons 6 à 9 mois devant nous pour nous adapter à cette nouvelle donne et retrouver nos marques. Ce qui est certain, c’est que l’on ne retrouvera pas des taux d’intérêts à 1 %. Cette frénésie que l’on a connue est bel et bien derrière nous. Je le dis sans langue de bois : nous assistons à un retour à la normalité.
Concepts clés et définitions : #La transition énergétique, #HCSF (Haut Comité de la stabilité financière)