Marché de la construction : quels leviers prioritaires pour accroître la production ?
Par Christian Capitaine | Le | Réseaux-franchise
A l’occasion du salon RENT 2024 (6 et 7 novembre, à Paris), Immomatin a animé une conférence sur le thème : « Marché de la construction : quels leviers prioritaires pour accroître la production ? » Quatre acteurs clés du secteur de la promotion ont participé à cette table-ronde, animée par Hadrien Le Roux, directeur de notre journal. Morceaux choisis.
Ont participé à ce débat :
1/ Julie de Roujoux, présidente d’Alsei, groupe immobilier, spécialiste des locaux d’activité et présent sur le secteur du logement. Le groupe travaille notamment sur la thématique du logement abordable (accédants à la propriété et bailleurs sociaux).
2/ Norbert Fanchon, président du directoire du groupe Gambetta, promoteur organisé en coopérative, spécialisé dans le résidentiel.
3/ Cédric de Lestrange, président d’Axe Immobilier, promoteur multi-produits déployant trois activités : la promotion, la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre.
4/ Quentin Epiney, président de Bazzile, portail immobilier gratuit à l’adresse des agents immobiliers.
Question 1 : Quels sont les principaux défis auxquels le secteur de la construction doit faire face ?
Julie de Roujoux (Alsei) : « Avant de répondre, j’aimerais brosser un rapide état des lieux de notre secteur de la promotion. Nous assistons, depuis 2 ans en France, à un effondrement de la production de logements. Il ne s’agit pas d’une crise de la demande, mais bien d’une crise du financement de la demande.
En effet, avec la flambée des taux d’emprunt, nous nous sommes retrouvés dans l’incapacité de financer nos clients qui, je le rappelle, ont perdu, au cours de ces deux dernières années, environ 25 % de pouvoir d’achat immobilier.
Toutefois, et l’on s’en félicite en tant que promoteur, nous assistons, depuis plusieurs semaines maintenant, à une baisse des taux. Nous retrouvons ainsi mécaniquement des accédants à la propriété finançables. Les banques font preuve à nouveau de volontarisme sur le financement des porteurs de projet immobilier, et notamment envers les primo-accédants.
On sent bien un frémissement, une reprise du marché, mais plutôt du côté du logement abordable, dont les prix au mètre carré ne vont pas au-delà de 4 500 à 5 000 euros.
S’agissant des défis à relever pour notre profession, il devenu indispensable aujourd’hui de repenser le logement. C’est un marché très normé. Il est urgent de nous pencher davantage sur les usages des logements que nous produisons, sur ce que veulent nos clients.
Il faut aussi mener une réflexion sur le mode de financement et de détention. Il serait notamment intéressant de penser au déploiement de systèmes d’accession progressifs à la propriété. Pour cela, il faudrait trouver des modes de partage du foncier, alléger les charges du coût du foncier dans le prix global du terrain.
Deuxième défi à relever : le développement durable. C’est vrai, cela coûte plus cher de construire des bâtiments performants sur le plan environnemental. Mais il est important de ne pas renoncer à nos ambitions à travers l’innovation technique. »
Norbert Fanchon (Gambetta) : « Oui, la période que nous traversons est difficile. Retenez ce chiffre : 250 000. C’est le nombre de logements neufs qui seront produits cette année en France, soit un seuil bas qui n’avait plus été atteint depuis 1950.
Les difficultés que nous rencontrons sont avant tout économiques. Le défi qui se présente à nous concerne, bien sûr, les Français et leur capacité à accéder à la propriété.
Mais avant cela, se présentent l’Etat et les collectivités locales. Nous attendons qu’ils comprennent mieux nos difficultés. Il y a, de leur part, des choix politiques forts à faire pour relancer la construction.
En tant que promoteur, nous avons agi pour garder nos entreprises à flot, notamment en les restructurant. A l’Etat et aux collectivité, à présent, de soutenir notre filière. »
Cédric de Lestrange (Axe Immobilier) : « Deux enjeux se présentent à nous.
Le premier est qualitatif. Depuis plusieurs années, nous le voyons sous le prisme de l’amélioration de la performance énergétique. Sur ce terrain, nul doute que des progrès ont été accomplis.
A présent, un autre défi se pose : celui de reconstruire la ville sur la ville. Il est essentiel d’accélérer sur le fait de pouvoir utiliser la ville de façon plus intense, sans obstacle administratif. Pouvoir utiliser cet existant, ce foncier, pour développer les centres-villes est devenu un enjeu crucial.
Deuxième enjeu, celui du quantitatif. Cela a été dit : nous traversons une crise. En conséquence, il est urgent de prendre des mesures radicales, car cette crise du logement est une crise de l’investissement privé, de la constitution de leur patrimoine par les ménages.
Nos besoins en logements augmentent, notamment pour des raisons démographiques. Et sur notre secteur, tout retard pris ne peut pas se rattraper. Il est regrettable de constater que nous recréons aujourd’hui un marché de rareté. Il est urgent d’agir pour le logement. »
Quentin Epiney (Bazzile) : « La stabilité, dans le temps, du contexte économique, fiscal et politique est déterminant pour les promoteurs immobiliers, car nos cycles de développement s’étirent sur le long terme.
En Suisse, où nous sommes implantés, il n’y a pas d’eldorado de l’immobilier. Mais il y a, en revanche, des conditions cadres qui sont favorables à plus de stabilité politique et économique favorisant une répartition des richesses saines grâce au fait que nos institutions politiques sont construites sur le socle de la démocratie directe.
Concernant la France, on ne peut que déplorer les changements réguliers de politiques fiscales. Ils empêchent les promoteurs français de fixer des perspectives sur le long terme.
Toujours en France, plutôt que de voir l’Etat engager des actions incitatives et ponctuelles ciblées, il serait préférable qu’il trouve une stabilité dans sa politique fiscale. Cela permettrait, nul doute, de soutenir la construction.
J’ajoute que nous avons créé le portail immobilier Bazzile afin de soutenir la profession des agents immobiliers. Si ces derniers pouvaient bénéficier de charges plus faibles que celles aujourd’hui, ils pourraient fournir leurs prestations à moindre coût pour les promoteurs immobiliers. »
Question 2 : Quelles pistes le législateur doit-il explorer pour que l’on puisse retrouver le chemin de la construction ?
Quentin Epiney (Bazzile) : « Je développerai ce que j’ai exprimé précédemment : de par notre fonctionnement via la démocratie directe, les questions de politiques fiscales, en Suisse, sont soumises au vote populaire.
En conséquence, une fois qu’une règle est établie, le changement de politique, s’il a lieu, n’entraine pas de bouleversement sur le plan fiscal. Et ce mécanisme se révèle très précieux pour les entrepreneurs, qui ont une visibilité sur le long terme. La France devrait-elle s’en inspirer ? ».
Cédric de Lestrange (Axe Immobilier) : Il ne faudrait pas que la question de la dette publique vienne étouffer l’activité économique de notre pays. Or, depuis que nous sommes en plein débat budgétaire, c’est ce qu’il se passe. Et c’est regrettable.
L’Etat s’interroge notamment sur sa capacité à baisser ses dépenses. En la matière, pour réduire notre déficit, cela est possible ! C’est à la fois vrai pour une entreprise et un pays !
L’autre piste, préconisée par l’Etat, pour alléger notre déficit consiste à augmenter les recettes, en remontant, comme cela a été décidé, les droits de mutation à titre onéreux. Mais c’est une erreur !
La seule piste qui vaille consiste à baisser les dépenses des collectivités concernées. Même constat pour la hausse de la taxation des plus values immobilières envisagées par les pouvoirs publics : c’est une mauvaise idée. Ce serait le meilleur moyen de figer le marché. »
Julie de Roujoux (Alsei) : « L’Etat a beau augmenter les taxes et supprimer les niches fiscales, le marché ne bouge pas. Et pour cause : raisonner à court terme, comme c’est le cas actuellement, ou bien soutenir sur le long terme les entreprises, est un vrai choix politique.
Je me félicite, en revanche, côté accession à la propriété, de voir que la question du PTZ est revenue au cœur des débats. On espère vivement que cet outil, qui est un vrai booster de notre marché, verra sa généralisation se maintenir (nous apprenions, quelques jours après la tenue de cette conférence, que le prêt à taux zéro était possible pour les maisons neuves, NDLR).
Autre sujet : concernant les LMNP (logement meublé non professionnel), on mélange tout : c’est vrai, on trouve des LMNP en surabondance dans les zones tendues, mais on en trouve également sur le marché des logements étudiants et seniors. Je trouve délétère cette attitude de l’Etat à, dans ce domaine, généraliser les produits, les logements et les territoires.
Enfin, cette crise de l’immobilier que nous vivons est également une crise de l’offre. Elle est liée au fait que c’est compliqué d’obtenir des permis de construire.
Il y aurait des choses à modifier dans le droit d’urbanisme pour faciliter la production de logements. Par exemple, le gros foncier disponible aujourd’hui se trouve dans les friches industrielles et commerciales. Or, le droit de l’urbanisme interdit bien souvent de construire des logements dans ces friches.
En résumé, la priorité, ici, est de libérer l’offre et les initiatives sur la manière de financer le logement, et de rendre les futurs propriétaires solvables vis-à-vis de la demande. »
Norbert Fanchon (Gambetta) : « Notre marché de l’immobilier est immuable : nous ferons toujours des transactions et des logements neufs en France.
Et je dois dire que, en la matière, je n’attends rien du politique pour le faire avancer. Nous, professionnels de le promotion, devons nous accrocher. Nous devons aussi certainement revoir nos façons de faire. C’est la crise, mais ce n’est pas la fin du monde.
Faire des efforts et restructurer nos entreprises, nous l’avons fait. Mais nous ne sortirons pas tous indemnes de cette crise, dont je vois l’issue pas avant 2028. Oui, cette crise est violente. Mais nous sommes dans un cycle. Nous devons nous adapter. »