« La tokenisation des actifs immobiliers est l’avenir du secteur » (F. Freyssenet, TokenLand)
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En quoi consiste la tokenisation de l’immobilier ? A qui s’adresse-t-elle ? Quels sont ses avantages ? Les réponses avec Florian Freyssenet, fondateur du cabinet de conseil et tech TokenLand, dans une interview chez notre partenaire News Tank Cities.
Comment avez-vous pris conscience de l’importance de la tokenisation de l’immobilier pour le futur du secteur ?
Au cours de mes expériences dans divers secteurs de l’immobilier, j’ai eu l’opportunité de voyager énormément. Partout où je me rendais, je discutais de la tokenisation des actifs immobiliers, un sujet peu connu en France à l’époque.
En juin 2022, j’ai entrepris d’écrire un rapport de recherche personnel intitulé « Immo 3.0 de la pierre papier à la pierre crypto » dans le but d’évangéliser sur cet écosystème, sans ambition particulière. Pourtant, j’ai rapidement reçu des demandes d’accompagnement de grands groupes pour la création de nouveaux produits financiers et, plus généralement, pour former leurs équipes d’innovation et de direction à la blockchain.
Parallèlement, j’ai une deuxième activité consistant à développer des plateformes de tokenisation pour les entrepreneurs et les entreprises de l’immobilier, permettant ainsi la mise en place de leurs propres plateformes internes. Nous avons notamment travaillé sur OpCap et Blok.immo.
Au fil de mes expériences, j’ai constaté un réel manque de compréhension quant aux possibilités offertes par les entreprises dans ce domaine. Les cabinets d’avocats facturent très cher leurs conseils en matière de tokenisation et ne sont parfois pas spécialisés dans l’immobilier.
C’est pourquoi, en collaboration avec d&A partners, nous avons décidé de publier un livre blanc en juillet 2023. Cette publication poursuit plusieurs objectifs : elle permet tout d’abord de mettre à disposition des informations pour les entrepreneurs, mais également pour les investisseurs, car je crois en l’open-source.
Ensuite, elle permet de montrer à l’ensemble de notre clientèle potentielle qu’une réglementation encadrée par l’AMF existe.
En quoi consiste la tokenisation ?
La tokenisation consiste à fractionner un bien immobilier en plusieurs parts afin de les représenter sur un réseau décentralisé numérique, appelé la blockchain. Il est vrai que le langage technique du numérique peut parfois susciter des réticences et décourager les acteurs du secteur. Cependant, il est important de comprendre que cela représente très probablement l’avenir de l’immobilier.
La tokenisation consiste à fractionner un bien immobilier en plusieurs parts afin de les représenter sur la blockchain.
En effet, ce qui compte le plus, ce sont les nombreux cas d’utilisation découlant de cette technologie. Parmi ceux-ci, on trouve la possibilité d’investir dans un bien immobilier à partir de petites sommes (parfois dès 50 euros), de rendre le marché secondaire beaucoup plus efficace et de garantir des tokens pour emprunter sur d’autres devises numériques.
En définitive, mon métier est davantage axé sur les pratiques entourant cette innovation que sur l’innovation elle-même.
De plus en plus de plateformes de tokenisation semblent d’ailleurs suivre votre modèle. Comment l’expliquer ?
Au début le modèle était de fragmenter des actifs immobiliers à travers des contrats de royalties. Pourtant ces royalties ont été utilisées pour créer des utility tokens (monnaies non réglementées) car elles étaient liées à des contrats de rendement simples, sans réelle valeur immobilière.
Cependant, le 23 décembre 2022, l’AMF a émis un avis selon lequel le modèle des royalties constitue un titre de créance à part entière et doit donc se conformer à la même réglementation.
De nombreux acteurs ont donc décidé changer de modèle, notamment Bricks, qui s’était lancé de manière très cavalière sur le marché et exploitait une zone grise du système. Bien que la décision de l’AMF ne soit qu’un avis, elle semble tout de même réguler le marché. Ainsi, de moins en moins de structures s’orientent vers la création de tokens sans régulation.
Cela se remarque également avec l’arrivée d’acteurs étrangers tels que RealT, qui s’est associé à deux sociétés françaises, Twenty First Capital (société de gestion) et WiSEED (concepteur de solutions numériques), pour conquérir le marché européen.
Cependant, le groupe américain devra se conformer aux règles de l’AMF et ne pourra pas reproduire le modèle par action immobilière qu’il utilise aux États-Unis. En effet, pour l’instant, seule la solution que nous proposons dans notre livre blanc semble être fonctionnelle de manière conforme sur le marché français.
Quels sont les principaux avantages liés à la tokenisation des actifs immobiliers ?
Actuellement, il semble que le marché immobilier souffre d’un manque de liquidités. La tokenisation des actifs ne crée pas directement de liquidité, mais elle crée les conditions favorables à son développement.
En effet, la fragmentation d’un actif permet déjà d’attirer des investisseurs plus modestes. La fragmentation des actifs est d’ailleurs déjà fonctionnelle sans passer par la tokenisation. Cependant, la tokenisation présente deux principaux avantages :
Tout d’abord, l’investissement n’est pas figé, car le token possède un paramètre de composabilité qui permet son utilisation sans l’accord de l’émetteur. Cela signifie qu’une participation obligataire enfermée dans un token peut être échangée sur une plateforme respectant les conditions de l’AMF.
Je suis convaincu qu’un marché d’échange de tokens immobiliers sera pleinement actif d’ici la fin de 2024.
Cette technologie décentralisée facilite donc la création d’un marché secondaire et permet de ne pas restreindre les investissements en crowdfunding sur de courtes périodes, évitant ainsi de bloquer les fonds pendant trop longtemps. Ainsi, je suis convaincu qu’un marché d’échange de tokens immobiliers sera pleinement actif d’ici la fin de 2024.
Le deuxième avantage de la tokenisation est la facilité avec laquelle des nantissements peuvent être réalisés. Actuellement, les nantissements sont administrativement longs et coûteux. Grâce à la tokenisation, la part d’un actif immobilier peut être utilisée comme garantie sur une plateforme de prêt afin de récupérer un certain montant en cryptomonnaie stable.
La tokenisation peut-elle être utilisée massivement par les grands investisseurs du secteur ?
On peut penser que la tokenisation se concentre principalement sur la recherche de petits épargnants afin de concurrencer le modèle des SCPI. Cependant, je suis convaincu que cette innovation peut devenir la structure technique qui facilitera les échanges entre les banques, les grands groupes immobiliers et leurs gestionnaires d’actifs.
Pour l’instant, les banques et les gestionnaires d’actifs semblent avoir une longueur d’avance sur les promoteurs immobiliers dans ce domaine. Je continue à croire que le marché fonctionne principalement en B2B, et en fluidifiant les investissements entre les acteurs, il ne pourra qu’en bénéficier.
Prenons l’exemple de la Société Générale, qui a tokenisé 30 M€ de dettes immobilières gérées par le groupe. Ces tokens ont ensuite été placés sur un protocole spécifique appelé MakerDAO, qui s’exécute sur la blockchain d’Ethereum, afin de récupérer 7 M€.
Ce montage financier, entièrement français, est l’exemple parfait d’une possibilité de valoriser son patrimoine immobilier grâce à la blockchain. Je pense également à Mata Capital, un gestionnaire d’actifs qui a tokenisé un immeuble d’une valeur de 26 M€ situé dans le 15earrondissement de Paris pour le mettre à disposition de ses investisseurs historiques, facilitant ainsi les échanges de parts entre eux.
Comment analyser les réticences du marché sur ce produit ?
Un amalgame est souvent fait entre les security tokens et le bitcoin/les cryptomonnaies. Il est important de comprendre que bien qu’ils coexistent sur la blockchain, ils ne sont pas du tout soumis à la même réglementation et leur utilisation est totalement différente.
Il faut arrêter de considérer la tokenisation comme le nouvel eldorado de la défiscalisation
Ainsi, si un security token représente 10 % d’un appartement, il bénéficiera d’une protection similaire à celle d’un investissement traditionnel dans le même bien. Il s’agit d’une technologie commune, mais leurs références sont très différentes. Une monnaie virtuelle sera volatile par rapport aux marchés des cryptomonnaies, tandis que la valeur d’un security token lié à un actif dépendra uniquement du marché immobilier.
Il est également nécessaire d’arrêter de considérer la tokenisation comme le nouvel eldorado de la défiscalisation. Elle n’est qu’un catalyseur de marché car l’immobilier est en train de se transformer. Les entreprises avec lesquelles nous travaillons sont parfaitement stables et légitimes.