« Nous sommes défenseurs de l’habitat inclusif » (Vincent Borrel)
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Créée, en 2017 à Toulouse, par et pour les propriétaires bailleurs et les investisseurs, La Coopérative de l’Immobilier, avec plus de 60 associés en France, est la première coopérative immobilière de propriétaires-bailleurs en France. C’est aussi la première agence immobilière à but non lucratif du secteur non associatif. Son président, Vincent Borrel, a répondu aux questions de notre partenaire News Tank Cities.
Dans le domaine de l’habitat et dans l’offre de logements, quelles sont les caractéristiques de la région de Toulouse, où vous avez co-créé en 2017 La Coopérative de l’immobilier ?
Notre constat est qu’il y a des gens, des ménages, qui ne trouvent pas de logements alors qu’il y a de la vacance. Toulouse en est un exemple. C’est un beau territoire, mais c’est un territoire d’exclusion. Le taux de vacance est élevé avec une rotation entre 2 occupants de plus de 60 jours, le double de Bordeaux. En mars, les appartement se vident et retrouvent un occupant 3 mois plus tard. C’est le royaume du loué meublé non professionnel (LMNP). C’est ce que j’appelle l’effet ventilateur qui ne produit rien. Il y a pourtant à Toulouse plus de 100 000 étudiants dont les parents se portent caution. Les jeunes actifs ont du mal à se loger. Dans notre parc, la rotation entre 2 locataires est de 15 jours. Moins de vacance et plus de garanties pour le bailleur, c’est notre credo.
Pourquoi La coopérative de l’immobilier, que vous avez co-créée en 2017 à Toulouse, se positionne-t-elle différemment des réseaux et agences traditionnels ?
Nous sommes partis de ce que vivent les clients. Pour les nombreux particuliers propriétaires bailleurs, il y avait à leur disposition la voie du Particulier à Particulier (PAP), avec dans le meilleur des cas une cotisation à l’UNPI, ou la voie du mandat auprès d’un professionnel. Dans les 2 cas, il y a risque d’insatisfaction, voire de conflits locatifs, au nombre de 330 000 en 2019 selon Infostat Justice. En résumé, quand tout va bien, la voie du PAP suffit. Quand il y a conflit, la location devient vite une charge. L’apport du professionnel apparaît insuffisant. Les frais se multiplient, les démarches en justice ne sont pas délégable. On peut relire sur ce point le rapport du député de la Haute-Garonne Mickaël Nogal sur le problème de confiance.
On remarquera 2 choses. D’abord, le secteur de l’immobilier est régulièrement légiféré, fiscalement plus compliqué que certains le laissent dire. J’en tiens pour preuve le succès des forums d’entraide dédiés aux particuliers qui atteignent plus de 36 000 membres en particulier sur 2 thèmes : l’investissement locatif et la gestion locative. La qualité des réponses est très variable, souvent peu sourcées, très peu modérées, que ce soit envers les professionnels ou les locataires. Les observateurs auront vu que les demandes des internautes sont souvent juridiques, fiscales, souvent basique. Parfois ce sont des clients d’agence qui sollicitent des informations sur les conduites à tenir. Ensuite, les bailleurs se protègent peu par les assurances y compris quand il passe par des professionnels. Je l’ai compris comme cela lors de la réunion à la CCI de Toulouse en 2019 où un représentant des assureurs en garantie loyers impayé (GLI) annonçait 20 % des lots assurés. Je me souviens des interventions qui ont suivi et qui remettaient en cause les délais d’intervention des assureurs. Bref, quand on discute avec les propriétaires bailleurs, c’est que la promesse de rendement locatif n’est jamais à la hauteur des hypothèses sur lequel ils ont bâti leur projet d’achat.
Quel est votre constat sur l’offre et la demande, le rôle de la défiscalisation ? Comment évoluent-elles ?
Si on veut être polémiste, la plaie du service de gestion en agence serait avant tout le service de transaction-investisseur. Nous assistons, dans les faits, à une chasse « au superflu » dont font les frais les professionnels qui s’alimentent essentiellement par la gestion de la défiscalisation. Car les propriétaires gèrent de plus en plus en direct, avec une montée en gamme des critères d’exclusion locative, une orientation massive vers le LMNP et la colocation. C’est le nouvel eldorado de l’investisseur dans l’ancien avec un effet d’inflation sur les loyers (450 € la chambre en colocation), voire du R’BnB. Les jeunes actifs et personnes âgées, voulant s’installer durablement en ville, n’auront bientôt plus d’offre disponible en nue. La vacance locative explose (64 jours selon l’observatoire des loyers, soit le double de Bordeaux) ainsi que la rotation (36 mois toutes surfaces confondues). Serait-ce un effet collatéral de la défiscalisation (de Robien, Duflot, Pinel). Dans le rapport annexé au projet de loi de finances 2021 sur l’efficacité des dépenses fiscale en faveur du développement et de l’amélioration de l’offre de logement, il est indiqué (page 19) « puisque les loyers de ces logements correspondent à environ 80 % des loyers de marché favorisant la détente du marché locatif libre… » et ça crée ainsi une offre en neuf et en nue à 10,44 € par m2 sur des T2/T4. Il devenait difficile de proposer la même surface en ancien à ce prix. La réponse du berger à la bergère : LMNP + colocation.
Du côté de la profession, à Toulouse, la croissance des opérateurs de gestion locative se fait essentiellement par le rachat de portefeuilles. Ça coince donc au pays des gestionnaires. Il me semble que leur taux de pénétration dans le marché n’est plus que de 20 %. Nous ne participons pas au grand tunnel des opérations de niche fiscale, banque-promoteur-gestion-revente par exemple. Il est difficile à comprendre qu’autant de personnes soient horrifiées par le traçage informatique des GAFA et que personne ne s’intéresse à « l’algorithme » des vendeurs de défiscalisation, toutes opérations confondues. J’ai du mal à comprendre que l’investisseur en Pinel, qui s’aperçoit que la revente est à perte, confie son bien à la même société qui le lui a vendu en lui promettant le contraire. On dit souvent que l’avantage fiscal est confisqué par l’intermédiaire. Il y a une part de vrai.
Peut-on parler de concurrence ou de compétition entre bailleurs, entre particuliers et professionnels ?
Nous n’avons pas de temps à perdre avec la question de savoir qui est le meilleur du propriétaire bailleur investi ou du professionnel. Nous avons réuni tout ce monde dans une société privée, avec des bailleurs, des investisseurs, des gestionnaires et des professionnels pour vendre, acheter et gérer des habitations et des commerces. Nous croyons à l’autogestion même si le terme renvoie à des fondements idéologiques qui semblent dépassés, et aussi à l’économie collaborative. Nous n’avons pas foi en la compétition mais en la coopération. Nous pensons que le rendement locatif est un projet commun pour tous. Nous pensons, à l’instar de Stéphane Grégoire et Tristan-Pierre Maury (du pôle de recherche en économie Edhec-2014 « rapport sur le dysfonctionnement du marché locatif privé et le rôle de la régulation »), que le meilleur rendement locatif s’obtient par la durabilité du lien. Nous pensons que le respect des locataires n’est pas une faiblesse. Une vraie garantie locative est le 1e service d’un intermédiaire de confiance. La consolidation des activités de gestion et de transaction est la voie d’équilibre pour financer la sécurité, la baisse des coûts.
Quand on discute avec des propriétaires bailleurs privés, et dans une coopérative c’est fréquent, on ne peut qu’entendre l’extrême tension de celui qui s’est investi au propre comme au figuré dans un projet qui reste à risque. Même celui qui a fait cela 20 ans, campé sur ses certitudes reste à l’affût des informations et des tuyaux. C’est la preuve de l’existence d’une forme d’inconfort « commercial » persistant. Il est comme l’artisan ou le commerçant. Il a connu des temps glorieux, il veut maintenir son niveau de vie et refuse l’idée de perte. Il vit un conflit permanent sur l’autel de la confiance : assurance ou cautionnaire ? Les blogs ou les groupes facebook sont remplis des interrogations des bailleurs, des investisseurs…
La question des garanties est-elle centrale pour les 2 parties ?
Dans le secteur privé, nos principes semblent répondre à la demande de transparence, d’authenticité et de solidarité, autant du côté des locataires, qui ne trouvent pas de logement aisément, que des bailleurs, qui attendent des garanties financières et d’occupation. Il y a une partie de la population qui se sent discriminée car elle n’accède pas à l’offre de logements, y compris dans le parc social. C’est un dysfonctionnement.
Modestement, mais avec conviction, nous essayons de pallier les difficultés de ces couches populaires, de leur ouvrir un parcours résidentiel, de créer un lien durable. Le format de la coopérative le permet quand les actionnaires sont devenus plus libres, moins anxieux et donc moins discriminants pour de mauvaises raisons. J’ai coutume de dire : gardez le meilleur, la coopérative s’occupe du pire.
Dans votre démarche, visez-vous des catégories de populations en particulier ?
Nous sommes défenseurs de l’habitat inclusif, heureux de pouvoir accueillir toutes les populations dans un esprit d’universalité, mais on ne s’impose pas de quotas. Ce n’est pas notre état d’esprit. Nous préférons travailler avec des associations, comme l’APF France Handicap et l’AJH, et leur apporter des solutions. Donc nous sommes ouverts à tous. Mais on prend soin de quelques catégories en particulier, comme les personnes en situation de handicap. Je pense, par exemple, à Julien un jeune autiste de 29 ans qui vit durement une location bruyante inadaptée. Le bailleur n’y est pour rien, le lieu est particulièrement inadapté à son handicap. Il dort très peu, contraint de prendre un lourd traitement pour le supporter. On va chercher pour lui un nouveau lieu, un bailleur accueillant
Qui sont les associé(e)s et comment les fédérez-vous ?
La société a plus de 60 associés. Ce qui nous unit, c’est l’achat groupé et une éthique : ne pas nous distribuer de dividendes, faire une société privé à but non lucratif, avec retour des marges réalisées aux propriétaires et aux locataires. C’est une société coopérative d’intérêt collectif à capital variable, avec une part sociale fixée à 20 €. À ce jour, nous avons des associés en Sud Alsace, en Corse, en région parisienne… Le plus gros contingent est en Occitanie.
Nous terminons une augmentation de capital par financement participatif citoyen à la hauteur de plus de 8 000 €. Notre particularité est d’avoir dans nos actionnaires des associations du secteur du handicap, du secteur social comme Campus et Toit, qui fait de la colocation étudiante, et une commune qui nous a confié 14 logements. Nous sommes fiers du soutien du maire de Blagnac qui a rejoint notre conseil éthique.
En 2021, 4 ans après la création, combien de lots sont gérés et de quelle typologie ?
Nous avons 70 lots en gestion et quelques parkings et nous avons conduit une vingtaine de transactions en 4 ans, y compris dans le Gers, le Tarn et le Tarn-et-Garonne, pour des appartements, des maisons… Nous avons même eu un terrain.
Avez-vous le projet de développer la société coopérative dans d’autres villes ?
Nous sommes bien à Toulouse, toujours dans notre phase d’expérimentation. Mais rien ne nous interdit d’étendre notre réseau dans d’autres villes d’Aquitaine, vers Bordeaux et Bayonne et l’Alsace par exemple où nous sommes en discussion avec des opérateurs locaux. Notre modèle d’implantation sera toujours le même, un territoire, des bailleurs une coopérative, une éthique et notre indépendance. On n’est pas issu des banques, ni de la promotion. On les aidera, sans perdre notre identité de coopérative solidaire de bailleurs, dans une proximité avec les professionnels qu’ils auront choisis pour les accompagner.